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Ségolène Journoud, chargée de mission à l'Anact : « Il y a une nécessité à avoir des espaces de discussion sur le travail dans les entreprises »

Social - Santé, sécurité et temps de travail
09/02/2016
Ségolène Journoud, l'une des contributrices de la brochure de l'Anact sur les espaces de discussion, rappelle la nécessité d'avoir des lieux pour discuter du travail réel, dans les entreprises.

ADD : Pourquoi avoir publié un guide sur les espaces de discussion ?

Ségolène Journoud : D'abord, parce que parler du travail est un besoin naturel. Ensuite, parce que c'est un sujet qui monte dans les entreprises. L'émergence des risques psychosociaux (RPS), les réorganisations, la détérioration des conditions de travail font que parler du travail devient une nécessité. Depuis quelques années, l'Anact se penche sur les espaces de discussion afin d'établir des bonnes pratiques, et démontrer que ces lieux peuvent être utiles aux salariés.

ADD : Vous avez établi une typographie...

S. J. : Selon les finalités et les besoins variables correspondent des espaces de discussion spécifiques. En ce qui concerne la régulation du travail au quotidien, cela est important d'avoir des espaces dédiés. Car le travail n'est jamais réductible à une prescription. Il est réel et entre forcément en tension avec les objectifs. Pour réguler, il faut de la confrontation, des espaces pour créer la dispute professionnelle, pour trouver les ressources, ou pour dégager un compromis, même provisoire dans l'organisation du travail.

Autre motif de création d'un espace, la nécessité du développement des compétences ou de l'apprentissage. Car parler de son travail avec d'autres, c'est aussi le passer dans un tamis, qui peut permettre de se mettre au clair sur ses représentations, de se mettre à l'épreuve. A ce type de motivation correspondent le plus souvent les groupes de métiers, les groupes de partage de pratiques.

Si l'on est confronté à un problème spécifique, on sera plutôt dans un groupe projet, mais cela peut être aussi des groupes ad hoc liés à une démarche de diagnostic, de prévention des risques.

Enfin, les espaces de discussion peuvent être suscités par des questions de reconnaissance au travail.

ADD : Quels sont les prérequis pour bien utiliser les espaces de discussion?

S. J. : Il n'existe malheureusement aucune recette valable pour toutes les situations. Celles-ci nécessitent des réponses adaptées selon les besoins et les collectifs. Il faut surtout respecter des principes et des démarches. Premièrement, les parties prenantes (RH, direction, manager, IRP, équipe) doivent se mettre d'accord sur la finalité de ces espaces. En gros, répondre à la question: " Dans quel contexte se situe-t-on? Une réorganisation, une émergence des RPS, un changement important ? "

Deuxièmement, il est bénéfique de clarifier les marges de manœuvre, selon le principe de subsidiarité, c'est-à-dire la capacité à agir au plus près du terrain. Est-ce qu'on a de la latitude uniquement sur nos tâches quotidiennes ? Peut-on faire évoluer l'organisation du travail ? Où place-t-on le curseur? Il est fondamental de le déterminer, car si les acteurs n'ont pas le pouvoir d'agir sur un certain nombre d'éléments, cela peut au contraire amener à un sentiment de découragement qui peut être encore plus nocif. La direction doit être consciente qu'il y aura des décisions politiques à prendre. Il y a aussi un risque d'essoufflement si le processus prend trop de temps.

Attention toutefois à ne pas oublier de s'interroger au préalable sur l'existant. Parfois, un processus existant peut être juste adapté. Le simple fait de s'interroger sur l'absence de discussion sur le travail permet également de résoudre une partie du problème. D'autres fois, il s'agit de demander aux équipes leur vision du travail bien fait, avec les outils disponibles, leurs obstacles.

ADD : Après les discussions, il y a les actes et l'application des décisions...

S. J. : Il importe effectivement de s'interroger sur l'aval. Tout ce qui a été proposé, ne pourra peut-être pas mis en place au niveau de l'équipe ou du salarié. Dans certains cas, il faudra savoir vers qui envoyer les informations, à qui s'adresser pour valider. Autre condition de bonne réussite, il faut faire le lien avec l'existant et associer les acteurs. La direction doit accepter des décisions prises sur le terrain, et d'une certaine manière perdre un peu de ses prérogatives. Pour les IRP, il faut aussi accepter que les questions de conditions de travail ne passent pas uniquement par eux. C'est pourquoi il faut absolument les mettre dans la boucle.

ADD : A propos des IRP, vous évoquez davantage le CHSCT que les autres instances. Pour quelles raisons ?

S. J. : Le CHSCT doit être en capacité de faire remonter des informations issues du travail réel. Il doit donc s'appuyer sur les espaces de discussion. Il ne faut pas être uniquement dans les perceptions, mais avoir un maximum d'objectivité. Il y a chez les IRP - qui se focalisent davantage sur les questions d'emploi - une tendance à l'éloignement du travail réel. Cela concerne moins le CHSCT, qui a cette nécessité d'être connecté au terrain.

Source : Actualités du droit