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Portée d’une transaction : les clauses de renonciation générale opposables aux salariés

Social - Contrat de travail et relations individuelles
15/06/2018
Dans un arrêt du 30 mai 2018, la Cour de cassation juge qu’une transaction comportant une clause de renonciation rédigée en termes généraux, doit recevoir pleine et entière application, même lorsqu’elle va au-delà du différend à l’origine de sa conclusion.
Un directeur administratif licencié pour motif économique le 29 juin 2005, signe avec son employeur le 11 juillet 2005, un protocole transactionnel dans lequel il est mis fin à une contestation ne portant que sur le licenciement. Le salarié prend sa retraite en 2012 et sollicite à cette occasion de son employeur le versement d'une retraite supplémentaire, ce qui lui est refusé. Le salarié saisit alors le Conseil de prud’hommes de Paris.
Bien entendu, la société a conclu à l’irrecevabilité de l’action, compte tenu de la conclusion du protocole transactionnel de 2005. Le Conseil de prud’hommes a jugé la demande recevable (malgré la transaction), mais non fondée.
Sur recours de la société, la Cour d’appel de Paris a confirmé que l’action du salarié était recevable malgré l’existence de la transaction, mais a infirmé le jugement du Conseil de prud’hommes, en ce qu'il avait déclaré l'action non fondée.
La Cour d’appel a considéré qu’une transaction se renferme dans son objet, de sorte que la renonciation qui y est faite ne peut s'entendre que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. Constatant qu’il n’existait aucun litige concernant la retraite supplémentaire, dont la mise en œuvre ne devait intervenir que plusieurs années après la signature du protocole, la Cour d’appel a estimé que le salarié, en signant la transaction, n’avait pas entendu renoncer à en demander le bénéfice.
 
La société a été condamnée à payer à son ex-salarié des sommes non négligeables :
  • une rente annuelle de 12569 euros,
  • 52412,73 euros au titre des arrérages échus,
  • 64565 euros au titre d’engagement de versement de la société sur le contrat retraite,
  • 3000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral.
 
La Cour de cassation ne l’a pas entendu ainsi et a choisi de donner plein effet à la transaction et notamment à la clause de renonciation dans laquelle le salarié déclarait « avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société et renonçait à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu'à toute somme ou forme de rémunération ou d'indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit ».
 
Selon la Cour de cassation, l’action du salarié aurait due être déclarée irrecevable. Ce faisant, la Haute Cour a rompu avec sa jurisprudence antérieure, puisque dans une situation très similaire, elle avait jugé le recours du salarié parfaitement recevable (Cass. soc. 14 avril 2010 n° 08-45.149).
 
La portée d’une transaction dépend directement de la façon dont les parties la rédigent

Avec cet arrêt les parties signataires d’une transaction sont évidemment incitées à définir la portée qu’elles souhaitent donner à leurs engagements respectifs, laquelle va dépendre de la rédaction de la clause de renonciation.
 
Une clause de renonciation très large, telle que celle ayant donné lieu à l’arrêt du 30 mai 2018, est ainsi parfaitement valable et opposable au salarié et ce, même si le différend ayant donné lieu à la conclusion du protocole est plus circonscrit. Une transaction conclue après la contestation d’un licenciement, peut donc comporter une clause de renonciation allant au-delà des contestations inhérentes au dit licenciement.
 
C’est bien entendu vers une telle rédaction que doivent tendre les employeurs.
 
En signant une transaction comportant une clause générale de renonciation, le salarié renonce-t-il à tout recours ?
 
La renonciation du salarié ne peut être totale. Tout d’abord, il conserve le droit de demander la nullité de la transaction pour irrégularité formelle (signature d’une transaction suite à un licenciement non notifié en recommandé) ou insertion d’une contrepartie dérisoire.
 
En outre, il ne peut renoncer qu’à des demandes portant sur des éléments existants à la date de la signature du protocole et donc pouvant potentiellement être réclamés à cette date. Dans l’arrêt du 30 mai 2018, la retraite supplémentaire et les droits afférents existaient bien à la date de conclusion de la transaction, puisque le contrat de retraite était antérieur et connu.
 
Des litiges portant sur des droits nés postérieurement à la signature de la transaction ne peuvent en revanche être couverts par cette dernière. Ainsi, par exemple, un différend portant sur une contrepartie pécuniaire à un engagement de  non-concurrence, né de faits postérieurs à la conclusion d’une transaction, ne serait pas couvert par cette dernière et n’interdirait pas au salarié de saisir le Conseil de prud’hommes.
 
Des conséquences pratiques indéniables
 
En redonnant plein effet aux clauses de renonciation générales, la Cour de cassation renforce clairement la portée des transactions et l’intérêt pour les entreprises d’y recourir lorsqu’elles souhaitent se prémunir du risque de contentieux avec un salarié.
 
Il est à noter que cette décision intervient après un autre infléchissement majeur, déjà observé dans deux arrêts du 15 mars 2018, dans lesquels la Cour de cassation a admis qu’une indemnité transactionnelle versée à la suite d’un licenciement pour faute grave, pouvait être intégralement qualifiée de dommages et intérêts, sous réserve qu’elle soit effectivement destinée à réparer un préjudice (Cass. 2ème civ. 15 mars 2018, n° 17-10325 et n° 17-11336)
 
Deux signaux forts envoyés par la Cour de cassation en faveur de la transaction.

Olivier Thibault, avocat associé, cabinet Avoxa Rennes
 
 
Source : Actualités du droit