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Carrefour : une montée en puissance de la négociation sociale pour les restructurations d’ampleur ?

Social - IRP et relations collectives, Fonction rh et grh, Formation, emploi et restructurations
07/06/2018
Dans le secteur de la distribution en pleine mutation économique, le groupe Carrefour semble avoir privilégié la recherche d’un accord avec les syndicats pour la mise en œuvre de sa restructuration sociale d’ampleur. L’occasion de s’interroger sur la place réelle de la négociation collective dans ce cadre.
L’actualité sociale de ces derniers mois a été marquée par l’annonce d’un « plan de transformation » du groupe Carrefour. A juste titre, l’éclairage médiatique fut d’abord focalisé sur le risque de « casse sociale », réel dans un secteur en pleine mutation. Il a d’ailleurs été édifiant de constater que les enseignes traditionnelles envisagent de nombreuses suppressions de postes tandis que les nouveaux acteurs « disruptifs », Amazon en tête, embauchent massivement.
En parallèle, l’œil du praticien s’attardera sur une évolution marquante des pratiques dans le cadre des restructurations d’ampleur : la négociation sociale semble désormais la voie privilégiée par les entreprises.
 
En ce sens, le groupe Carrefour a lui-même communiqué sur le fait d’être parvenu à la conclusion de deux accords majoritaires avec les syndicats prévoyant, en particulier, un plan de départs volontaires et des engagements en matière de reclassement des salariés impactés. Les syndicats ont été impliqués et ont accepté de négocier dans un contexte difficile, l’objectif pour ces derniers étant d’obtenir le plus de garanties sociales pour les salariés (rehaussements des indemnités de licenciement, mesures spécifiques pour les salariés partant à la retraite, engagements en matière de reclassement…).

PSE négocié par accord collectif
 
Historiquement, le changement de paradigme remonte certainement à l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013 ouvrant la voie à l’adoption du PSE négocié par accord collectif. Cette solution, alternative au PSE élaboré unilatéralement par l’employeur, demeure optionnelle pour les entreprises.
Toutefois, l’administration a rapidement incité les Direccte, chargées du contrôle du PSE, à favoriser cette première approche. En pratique, on a ainsi observé une véritable dichotomie dans le contrôle de l’administration : contrôle renforcé en matière de PSE unilatéral avec le souci, en particulier, que ce dernier soit suffisant au regard des moyens de l’entreprise et/ou du groupe, et que les mesures d’accompagnement le soient tout autant eu égard à l’importance du projet de licenciement. La délimitation des catégories professionnelles pour les critères d’ordre des licenciements, les efforts de formation et d’adaptation, et le respect de l’obligation de reclassement et de formation sont également appréciés avec rigueur. L’avis des représentants du personnel est, à cet égard, décisif dans le contrôle de l’administration.
 
Contrôles administratifs

A contrario, le contrôle opéré par l’administration en présence d’un accord majoritaire conclu avec les syndicats de l’entreprise est généralement cantonné au respect des conditions d’adoption de l’accord collectif et de la régularité de la procédure d’information/consultation des représentants du personnel, ainsi que de l’absence de mesures discriminatoires. Pour le reste, le contenu du PSE et des mesures d’accompagnement n’a pas vocation à être examiné en détails par l’administration, le principe étant que ces points relèvent de la négociation entre les partenaires sociaux.
On précisera, à cet égard, que le plan de départs volontaires, tel celui mis en place chez Carrefour, subi nécessairement l’un de ces deux contrôles administratifs, la Cour de cassation et l’administration du travail imposant l’établissement d’un PSE y compris lorsque les départs envisagés sont seulement fondés sur le volontariat.

Rupture conventionnelle collective
 
Plus récemment, les ordonnances Macron ont scellé la primauté du dialogue social dans ce contexte avec deux mesures phares entrées en vigueur l’année passée. La rupture conventionnelle collective constitue certainement l’innovation juridique la plus marquante et intéresse déjà de nombreuses entreprises. Son recours nécessite la conclusion d’un accord collectif majoritaire contenant certaines clauses obligatoires (dont celles relatives aux modalités de calcul des indemnités de rupture garanties aux salariés, et aux mesures visant à faciliter l'accompagnement et le reclassement externe des salariés). La flexibilité offerte à l’employeur, celle de diminuer ses effectifs sans justification d’un motif économique, est subordonnée à l’existence d’un réel dialogue social constructif. Tel fut le cas chez PSA où la rupture conventionnelle collective a été signée par cinq organisations syndicales à l’attention de 1 300 personnes.
 
Il est évidemment trop tôt pour prédire si ces réformes auront un profond impact dans l’approche sociale de ces restructurations. Signalons que, malgré la conclusion de ces accords, le risque de confrontation sociale n’est pas définitivement écarté s’agissant, par exemple, de la nature des offres de reclassements négociées entre les partenaires sociaux.

par Déborah Attali, associée, et Guillaume Talneau, avocat, cabinet Eversheds Sutherland
 
Source : Actualités du droit