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Budgets du CE : la Cour de cassation fait (enfin) ses adieux au compte 641 !

Social - IRP et relations collectives
19/02/2018
Par deux arrêts du 7 février 2018, la Haute cour met un terme à une position jurisprudentielle consistant à imposer le compte 641 comme référence servant au calcul de la subvention de fonctionnement et du budget des activités sociales et culturelles des comités d’entreprise. Décryptage par Thomas Baudoin, avocat au sein du cabinet Fromont Briens.
Incontestablement, la chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement à 180 degrés, qu’elle a entendu d’ailleurs expliciter dans une note publiée sur son site internet (sur le même sujet lire aussi "Budgets du CE : la Cour de cassation abandonne toute référence au compte 641", NDLR).

Les raisons ?
 
Dans les attendus de principe de ses deux arrêts du 7 février 2018, la Haute cour admet clairement le manque de pertinence à maintenir la référence au compte 641, compte tenu de « l’évolution de la jurisprudence, qui a exclu de l’assiette de référence du calcul de la subvention de fonctionnement et de la contribution aux activités sociales et culturelles diverses sommes figurant au compte 641 mais n’ayant pas la nature juridique de salaires du compte 641 ».
 
De manière subtile, la Haute cour précise que c’est l’abondance du contentieux qui a surgi après sa fameuse décision IBM du 30 mars 2011, qui a « obligé » la chambre sociale à apporter certaines précisions, en soustrayant des postes, figurant au compte 641, de la base de calcul des subventions. À dire vrai, c’était bien la référence de départ au compte 641 qui n'était pas intrinsèquement pertinente.Il faut rappeler que les entreprises ont dû attendre près de 4 ans après la décision IBM, pour que la Haute cour précise que la définition de l’assiette de calcul devait se faire « à partir du compte 641 » et non « par le compte 641 ».

Et ainsi se voir officiellement autoriser à retraiter le compte 641 en l’expurgeant :
  • de la rémunération des dirigeants sociaux, des remboursements de frais, et des indemnités dues au titre de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités légales et conventionnelles de licenciement et les indemnités de retraite (Cass. soc., 20 mai 2014, n°12-29.142) ;
  • des indemnités transactionnelles pour leur montant supérieur aux indemnités légales et conventionnelles (Cass. soc., 31 mai 2016, n°14-25.042). 
 
Mais si certaines sommes devaient être déduites du compte 641, d’autres inscrites en dehors de celui-ci devaient être intégrées… Par exemple, la Haute cour avait précisé que les rémunérations des salariés mis à disposition devaient être prises en compte par l’entreprise utilisatrice, alors qu’elles sont, en principe, comptabilisées dans le compte 621 « personnel extérieur à l’entreprise ».
 
Ces exceptions au compte-gouttes laissaient beaucoup de question en suspens, et étaient autant de viviers de contestations possibles à la main des CE.  Elles étaient également extrêmement critiquables. Comme celle intégrant dans le calcul de la masse salariale les provisions de nature salariale, tout en n’autorisant pas expressément la déduction des congés payés acquis mais non pris provisionnés en compte 6412, alors qu’il ne s’agit pas de sommes versées aux salariés (Cass. soc., 31 mai 2016, n°14-25.042).
 
Une chose est sûre, les décisions de la Haute cour n’ont pas fait émerger de « mode d’emploi » clair et compréhensible pour les employeurs. C’est donc bien la logique initiale d’affectation comptable qui n’a pas permis à la chambre sociale de la Cour de cassation de construire une règle cohérente sur le plan juridique.
 
Or, l’insécurité juridique générée par cette situation devenait inacceptable, puisqu’elle exposait les entreprises à des risques financiers importants.  À l’heure où la réforme du code du travail mise en œuvre par les ordonnances du 22 septembre 2017 s’est structurée autour des idées fortes de simplification, de sécurisation des relations de travail et des relations collectives, et de prévisibilité des risques, la Haute cour ne pouvait, sans doute plus, assumer la référence au compte 641 au regard des critiques susvisées.
 
Ce contexte l’a conduit inévitablement à procéder à un « réexamen complet » de la question de l’assiette de fixation des subventions dues au CE sur la base de la masse salariale. Comme elle le note, de nombreux juges du fond étaient d’ailleurs entrés en résistance contre la jurisprudence de la Cour de cassation.
 
Même s’il est tardif, il convient bien sûr de se féliciter de ce revirement, qui était très attendu par les entreprises, et qui est aussi radical qu’inespéré puisque la Haute Cour n’avait eu de cesse de confirmer, dans des décisions publiées au bulletin, son attachement au compte 641.
 
Un retour à la définition classique de la masse salariale
 
Pour définir la masse salariale brute, la Haute Cour indique désormais qu’il convient de se référer à la notion de « gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale, en application de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ».
 
Il s’agit là d’un retour à la définition sociale et traditionnelle de la rémunération. En quelque sorte c’est un rétropédalage vers ce qui était communément adoptée par les entreprises, qui se référaient généralement à l’ancienne DADS, maintenant la DSN.
 
Au visa l'article L. 3312-4 du Code du travail, la chambre sociale précise que les sommes attribuées au titre d’un accord d’intéressement n’entrent pas dans la masse salariale, puisqu’il ne s’agit pas d’une rémunération ni de sommes soumises à cotisations de sécurité sociale. En effet, dans sa version toujours en vigueur, cette disposition légale qui édicte le principe de non-substitution, dispose que les sommes attribuées aux bénéficiaires en application de l'accord d'intéressement ou au titre du supplément d'intéressement n'ont pas le caractère de rémunération au sens de l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale. Évidemment, cette même solution prétorienne doit être appliquée pour la participation versée aux salariés.

Enfin, la Cour de cassation indique que les rémunérations versées aux salariés mis à disposition sont exclues de la masse salariale de l’entreprise utilisatrice. Elle fonde juridiquement cette solution au double visa des articles L. 1251-24 et L. 8241-1 du Code du travail.
Cette solution a du sens puisque la masse salariale n’est pas ainsi « gonflée » artificiellement d’une population de salariés qui n’ont pas le même employeur, et qui ne sont censés intégrer, qu’un temps et sous des conditions strictes de forme et fond, la communauté de travail de l’entreprise utilisatrice.
Rappelons que pour ne pas être une opération de prêt de main d’œuvre illicite à but lucratif, l’entreprise prêteuse doit facturer « à l’euro l’euro » l’entreprise utilisatrice des salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition.
De plus, les salariés mis à disposition ont certes accès au sein de l’entreprise utilisatrice, dans les mêmes conditions que les salariés de cette entreprise, aux moyens de transport collectif et aux installations collectives, notamment de restauration, dont peuvent bénéficier ces salariés. Mais, lorsque des dépenses supplémentaires incombent au CE de l’entreprise utilisatrice, celles-ci doivent lui être remboursées suivant des modalités définies au contrat de mise à disposition.
 
Quelles conséquences ? Quelles attentes ?
  • Pour le passé :
Sur le principe, la jurisprudence étant d’application immédiate et rétroactive, les Comités d’entreprise ne sont plus fondés à demander des rappels de subventions en référence au compte 641, y compris sur les exercices antérieurs au revirement.
Les juges du fond, tribunaux de grande instance et cours d’appel, devraient en principe se ranger à la nouvelle position de la Haute cour.
La portée de cette décision concerne également les affaires actuellement pendantes devant les juridictions. La Cour de cassation explique que ce revirement « devrait permettre de mettre fin aux contentieux en cours ».
Reste à voir si les comités d’entreprise, demandeurs, se dessaisiront spontanément de leur action ou feront le choix de faire apprécier souverainement leurs demandes par les juges du fond.
Toute poursuite entêtée d’une procédure judiciaire serait totalement inappropriée, appauvrirait inutilement le budget de fonctionnement du paiement des frais de justice, voire exposerait les CE à une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile, souvent non prononcée par équité. Il est également attendu des experts du CE à ce qu’ils accueillent favorablement ce revirement et de jouer, en ce sens, pleinement leur rôle d’information et de conseil auprès des CE afin que le chiffon rouge du compte 641 ne soit plus agité en séance par les membres de l’instance.
  • Pour l'avenir :
La question est, en tout état de cause, tranchée par les nouveaux articles L. 2312-81 et L. 2315-61 du code du travail, issus de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.
Depuis le 1er janvier 2018, le Code du travail donnepour la première fois une définition de la masse salariale pour calculer le montant de la contribution de l’employeur.
 
Les articles L.2315-61 et L.2312-83 du Code du travail prévoient que, pour le calcul de la subvention de fonctionnement et du budget des ASC : « la masse salariale brute est constituée par l'ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale en application des dispositions de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ou de l'article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, à l'exception des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée. »
 
On pourrait croire à un alignement, à la concomitance presque parfaite, de la jurisprudence de la Haute Cour avec la nouvelle définition légale en vigueur au moment où elle a rendu son arrêt.

Mais il y a des deux différences de taille.

D'une part, le Code du travail exclut, à titre d’exception, « les indemnités versées à l’occasion de la rupture du CDI » de la masse salariale brute, y compris si celles-ci peuvent être soumises à cotisations sociales.
Les indemnités de licenciement légales et conventionnelles versées à l’occasion de la rupture du CDI (or cas de faute grave ou lourde) ne sont pas prises en compte dans le calcul de la masse salariale. Il doit également en être de même pour les indemnités de départ à la retraite, indemnité spécifique de rupture conventionnelle, et les indemnités de préavis ou les indemnités transactionnelles. Or, il faut se souvenir que la Cour de cassation avait adopté un raisonnement inverse puisque l’exception d’aujourd’hui était la norme d’hier.
En effet, selon sa jurisprudence, toutes les sommes dues au titre de la rupture du contrat de travail n’entraient pas dans l’assiette servant au calcul des budgets du CE, à l’exception des indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de retraite, de préavis et des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle dans leur partie supérieure à celle correspondant aux indemnités légales et conventionnelles de licenciement (Cass. soc., 22 mars 2017, n°15-19.973).
 
Le gouvernement souhaitait-il une conception a minima de l’assiette de la masse salariale en excluant toutes les indemnités versées à l’occasion de la rupture ? Probablement. Mais attention, cette exception est cantonnée à la rupture du CDI. Par exemple, dans la mesure où l’indemnité de fin de contrat versée au moment de la rupture d’un CDD, dite « prime de précarité », est soumise aux contributions et cotisations sociales, elle entre dans la masse salariale brute.
 
D'autre part, dans le même temps, le gouvernement a donné l’impression d’élargir cette assiette en y incluant, à l’inverse de la Cour de cassation, les sommes versées dans l’année de référence au titre de l’intéressement et de la participation (dernier alinéa de l’article L. 2315-61 du Code du travail).
 
Il s'agit d'une nouveauté dans le mode de calcul de la masse salariale qui aura pour effet d’augmenter sensiblement le montant des budgets de la nouvelle instance CSE dans les entreprises où ces formes d’épargne salariale sont particulièrement développées. Toutefois, cette nouveauté, inscrite actuellement dans le Code du travail, semble être très provisoire. En effet, un amendement au projet de loi de ratification des ordonnances a été déposé par le gouvernement lui-même et adoptée par l’Assemblée nationale le 17 novembre 2017. Il visait à supprimer l’alinéa concerné et donc à ne pas inclure l’intéressement et la participation dans la base de calcul du financement a minima du CSE.
En effet, selon le gouvernement, « ces dispositifs aléatoires par principe ne peuvent garantir une base de référence stable pour le financement du CSE, contrairement à la masse salariale, plus stable et pérenne ».
 
Seule une censure du Conseil constitutionnel pourrait remettre en cause cette suppression
 
Les employeurs qui auront payé pour l’exercice 2018, les subventions de fonctionnement et des ASC par acomptes mensuels ou trimestriels auront donc été prudents. Les autres pourront envisager une régularisation, si elle s’impose.
 


***
 
Le mot de la fin reviendra à la cour d’appel de Lyon, cour de renvoi autrement composée dans l’une des deux affaires « société Révillon chocolatier / comité d’entreprise Révillon chocolatier ». Cela promet un second adieu au compte 641 tout en papillotes et pétards ! Avocats lyonnais, Chers confrères, le rendez-vous est pris.

Thomas Baudoin, barreau de Lyon, avocat au sein du cabinet Fromont Briens
 
 

 
Source : Actualités du droit