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Ordonnances Macron : Haro sur la santé au travail !

Social - Santé, sécurité et temps de travail
27/10/2017
Denis Delcourt-Poudenx, avocat associé, Lauren Rieux et Mouna Benyoucef, avocates à la Cour, du cabinet DDP avocats, reviennent dans une quatrième tribune libre sur les ordonnances Macron. Au programme : le volet santé au travail, comportant, estiment-ils, des dispositions qui auront un impact négatif sur la santé des salariés et leur protection.
Bien que n’ayant pas fait l’objet des débats les plus médiatisés, "les ordonnances Macron" contiennent également des mesures importantes relatives à la thématique de la santé au travail. Pour être techniques, elles n’en auront pas moins un impact particulièrement fort à l’égard des salariés et de leur protection.
 
I. Le compte personnel de prévention : la pénibilité en moins
 
L’ordonnance n°2017-1389 du 22 septembre 2017 est ainsi consacrée à la transformation du « compte personnel de prévention de la pénibilité » (dit C3P) en « compte professionnel de prévention » (dit C2P). L’enjeu n’est pas uniquement sémantique (exit la très concrète « pénibilité » pour faire place à « l’exposition à des risques professionnels ») puisque le dispositif est profondément refondé.
L’ordonnance répond ainsi aux dénonciations des organisations d’employeur qui voyaient dans l’ancien système une « usine à gaz » (sic, le terme est choisi lorsque l’on parle de risques professionnels…).
 
Quatre facteurs de risque jusque-là identifiés (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux) sont tout simplement exclus du nouveau compte professionnel de prévention (nouvel article L.4163-1 du Code du travail).
 
Restent donc pris en compte les seuls 6 facteurs de risque suivants, concernant le travail :
  • de nuit,
  • répétitif,
  • en équipes successives alternantes,
  • en milieu hyperbare,
  • en environnement bruyant,
  • sous températures extrêmes.
Ces risques supprimés, très importants dans de nombreux secteurs économiques (bâtiment, industrie et services) et dont les effets durables et irréversibles sur la santé n’ont plus à être démontrés, ne donneront ainsi plus droit à acquisition de points sur le C2P.
Or, ces points peuvent être utilisés par les salariés concernés pour bénéficier d’actions de formation, passer à temps partiel ou encore afin de financer une majoration de durée d’assurance vieillesse et se voir octroyer un départ à la retraite anticipé.
 
Certes, en cas de maladie professionnelle liée à l’un de ces quatre facteurs de risque donnant lieu à une incapacité permanente au moins égale à un taux qui sera déterminé par décret, le salarié pourra tout de même prétendre à un départ à la retraite anticipé (nouvel article L.351-1-4 du Code de sécurité sociale). Toutefois, les droits ne compenseront que des dégâts constatés et souvent irréversibles…
 
En outre, le financement du C2P sera désormais assuré par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (nouvel article L.4163-21 du Code du travail) et non plus comme aujourd’hui par les entreprises elles-mêmes (elle entrainait une sur-cotisation pour les entreprises exposant le plus ses salariés aux facteurs de pénibilité). On dilue ainsi les responsabilités de l’employeur en matière de préservation de la santé de ses salariés, en les faisant supporter sur l’ensemble de la communauté de travail.
 
Il y a tout de même une avancée attendue, l’obligation de négocier sur la prévention de l’exposition aux risques professionnels ne s’appliquera plus seulement aux entreprises employant une proportion minimale de salariés déclarés exposés aux facteurs de pénibilité mais également aux sociétés d’au moins 50 salariés dont la sinistralité au titre des accidents du travail et maladies professionnelles est supérieure à un seuil qui sera fixé par décret (nouvel article L.4162-1 du Code du travail). Ce seuil reste à fixer et déterminera l’efficacité du dispositif qui, une fois encore, n’intervient que post-dommage.
 
Le nouveau C2P est entré en vigueur le 1er octobre 2017. Remarquons s’il en est besoin que les droits acquis au titre de l’ancien C3P ne disparaissent heureusement pas et qu’ils sont basculés dans le nouveau C2P (article 5 de l’ordonnance).
 
II. Des changements pour la procédure d’inaptitude au travail
 
  1. Un reclassement limité au territoire national
 
L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail assouplit considérablement, dans la lignée des mesures contenues dans la Loi El Khomri, les obligations de reclassement des salariés dont l’inaptitude a été constatée par le médecin du travail.
 
Le périmètre géographique de cette obligation de reclassement est ainsi désormais limité au territoire national lorsque l’entreprise appartient à un groupe.
 
Les recherches de l’employeur ne porteront donc maintenant que sur les seules entreprises du groupe situées en France « dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel » (nouvel article L.1226-2 du Code du travail).
 
Les nouvelles règles renvoient par ailleurs à la définition de groupe relatives au comité de groupe (une entreprise dominante dont le siège social est situé sur le territoire français et les entreprises qu’elle contrôle au sens capitalistique : article L.2331-1 du Code du travail).
 
Cela vise, à n’en pas douter, à contrer les jurisprudences tendant à étendre la notion de groupe à des entreprises juridiquement indépendantes (exemple récent pour les réseaux de distribution, Cass.soc, 22 septembre 2016, n°15-13849).
 
Quant au contexte, le laxisme dont font déjà preuve beaucoup de conseils de Prud’hommes à l’égard des employeurs, on peut désormais dire que l’inaptitude devient la quasi-certitude d’un licenciement incontestable.
 
  1. La procédure de contestation de l’avis d’inaptitude encore modifiée
 
Cette même ordonnance modifie également la procédure de contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail.
 
Si l’objectif affiché est de remédier aux difficultés soulevées par la nouvelle procédure de saisine du conseil des Prud’hommes issue de la loi El Khomri du 8 août 2016. Ces nouvelles dispositions génèrent des interrogations réellement alarmantes.
 
Saisi d’une telle contestation, le Conseil des Prud’hommes ne désignera désormais plus directement  un médecin expert, dont les conseillers prud’hommes avaient dénoncé le faible nombre.
 
Le Conseil confiera maintenant l’instruction du dossier au médecin inspecteur régional du travail qui pourra, lui-même, s’adjoindre le concours d’un tiers (nouvel article L.4624-7 du Code du travail).
 
L’employeur, quant à lui, aura la possibilité de mandater un médecin auquel les éléments médicaux retenus par le médecin du travail seront transmis par le médecin inspecteur.
 
Puis, la décision de la formation de référé se substituera directement aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.
 
On se prend à espérer que les juges prud’homaux chargés de cette besogne soient formés en la matière et puissent avoir connaissance des conditions de travail concrètes dans l’entreprise.
 
Surtout, la question de la prise en charge du coût de la procédure, déjà soulevée lors de la suppression au 1er janvier 2017 de la procédure gratuite devant l’inspecteur du travail, est loin d’être clarifiée.
 
L’ordonnance prévoit ainsi que, sauf décision motivée contraire du Conseil des Prud’hommes, c’est "la partie perdante" qui supportera les honoraires et frais d’instruction (saisine d’un médecin par l’employeur comprise ?) en fonction d’un tarif qui sera fixé par arrêté.
 
Autant d’incertitudes et de risques financiers qui, à n’en pas douter, ne peuvent avoir que pour effet de limiter les velléités de contestation par les salariés des avis médicaux.
 
Or, on se demande en quoi le salarié qui subit cette procédure alors que son employeur a décidé contester l’avis du médecin du travail (que le salarié n’a pas "gagné") peut être considéré comme "le perdant" d’un examen médical.
 
Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur à la date de publication des décrets d'application, et au plus tard le 1er janvier 2018.

Par Denis Delcourt-Poudenx, avocat associé, Lauren Rieux et Mouna Benyoucef, avocates à la Cour, DDP avocats
 
 
Source : Actualités du droit